Aislinn marchait d’un pas moins vif qu’à l’accoutumée, le long du quai de la gare d’Oranmore. Elle était vêtue d’une grande cape vert émeraude et d’un élégant chapeau noir dont la pointe recourbée frôlait presque sa chevelure épaisse coiffée en imposantes tresses retombant sur ses épaules. Derrière elle flottait une petite valise en cuir brun qui la suivait à la trace. Par chance, il ne pleuvait pas ce jour-là, alors que la fin du mois d’octobre avait été plutôt pluvieux. Le 31 était arrivé vite et tous les étudiants étaient en vacances. Elle en avait donc profité pour fair sa visite annuelle ou presque à ses parents. L’occasion de les revoir, même brièvement, et de revoir sa chère ville de Dublin. Elle préférait éviter les vacances d’été car c’était toujours le moment que choisissait sa sœur pour retourner à la maison, et elle y passait parfois tout un mois. De quoi dissuader sérieusement Aislinn de s’y aventurer. Elle avait réussi à éviter Dubhain pendant plus de quinze ans, il n’était pas question de rompre cette tradition bien ancrée. Parfois, elle se demandait même si elle serait capable de la reconnaître si elle la croisait dans la rue par hasard.
La Toussaint n’était pas l’époque la plus gaie mais elle aimait particulièrement cette fête. Par ailleurs, les jours qui commençaient à raccourcir et le froid qui devenait plus rude chaque matin n’étaient pas foncièrement désagréables à ses yeux. Ils étaient compensés par la beauté de l’Irlande en automne, avec ses feuilles rouges, ses paysages plein de brume et de mystère. C’était bien là les seuls éléments de nature qui trouvaient grâce à ses yeux. Du moment qu’il n’y avait pas de neige… Même la traditionnelle visite au cimetière de la famille Cionaodh ne lui semblait pas si déprimante. Les souvenirs de famille étaient bien les seuls qui ne lui posaient aucun problème. Principalement parce qu’il s’agissait de personnes qui étaient mortes il y a belle lurette et qu’elle ne connaissait donc pas de manière directe, si bien que les récits de ses parents et de sa grand-mère ressemblaient à des histoires et des contes. Depuis sa plus tendre enfance, elle avait toujours aimé ces histoires. Même si sa grand-mère adorée, Niamh, passait autant de temps à raconter les histoires de famille qu’à râler sur Aislinn qui se souvenait de tous les détails car cela l’empêchait de pouvoir en modifier certains au gré de ses récits et de son imagination. De petites fantaisies qui avaient le don d’agacer la petite fille et sa manie déjà bien construite de l’exactitude des choses.
Plongée dans ses pensées, Aislinn finit par se rendre compte qu’elle était debout au milieu du quai sans bouger depuis plusieurs minutes maintenant, à quelques centimètres d’un immense panneau d’affichage lumineux qui faisait la publicité pour un restaurant de nourriture rapide. Heureusement pour elle, elle ne l’avait pas heurté. Inquiète, elle jeta un regard angoissé à sa montre avant de se détendre. Évidemment, elle avait encore vingt minutes d'avance avant le départ de son train. Elle avait pourtant pris le temps de boire un café dans le hall de la gare, mais sa manie d'être en avance ne tolérait pas d'écart. Au moins, elle avait le temps d'atteindre le dernier wagon situé tout au bout du train sans se presser. Elle finit par y parvenir et monta dans le train à la recherche de la place qui lui avait été attribuée. Une fois bien assise, elle sortit un journal de la poche de sa grande cape après avoir pris soin d'en annuler les animations magiques. Après tout, il s'agissait d'un train moldu, il fallait donc éviter tout incident diplomatique de ce type. Elle n'avait rien contre les trains moldus, bien au contraire. La plupart du temps, ils étaient plus confortables et plus modernes que les trains sorciers, même si de fait ils ne comptaient plus aucun wagon-lit alors que cela pouvait s'avérer pratique.
— Bon, soyons optimistes, disons que personne ne s’amusera à prendre un train si tôt un dimanche alors que demain est aussi un jour férié, tenta-t-elle de se convaincre en regardant sa montre, qui affichait 7h43.
Il n'y avait personne dans son wagon. Aislinn s'autorisa donc à poser son chapeau noir sur la table devant elle et elle poursuivit sa lecture. Comme souvent, les nouvelles évoquaient les sinistres événements de ces dernières semaines. Au bout de plusieurs lignes sur la crispation avec les moldus et les inquiétudes de la communauté sorcière, la jeune femme soupira, ferma son journal et se leva pour aller atteindre sa valise. Il n’y avait plus qu’une seule chose à faire. Lire quelque chose de véritablement intéressant. Contrairement à ce que pensaient parfois les étudiants qui n’avaient jamais eu l’occasion de la voir en-dehors de la bibliothèque et ne venaient pas au club de lecture, les intérêts d’Aislinn étaient très variés. Elle ne lisait pas uniquement de gros ouvrages poussiéreux qui n’intéressaient qu’elle et quelques vieux professeurs proches de la retraite. En l’occurrence, puisqu’elle avait décidé d’en apprendre plus sur les Moldus, il était temps de découvrir leur littérature de manière plus approfondie. Elle se fit la plus discrète possible pour récupérer son livre au fond de sa valise enchantée avec un sortilège pour alléger son poids. La valise était littéralement remplie de livres, avec seulement un petit compartiment pour quelques vêtements.
Aislinn se saisit de « Ulysse », de James Joyce, bien décidée à débuter sa découverte avec un auteur irlandais. Elle n’imaginait pas que cette lecture nécessiterait bien plus que quelques heures de train pour en venir à bout. Elle commença à lire, le train n’avait pas encore démarré...
Invité
Messages : 290
Date d'inscription : 29/09/2019
Tormaigh
Sujet: Re: Voyage à Dublin (LIBRE) Jeu 28 Nov - 23:10
Voyage à Dublin
Kieran & Isaak & Aislinn
Isaak était en panique. Comme d’habitude. Il courait de partout dans la pièce leur servant de chambre commune, mettant un bazar monstrueux dans leur coin, bien rangé quelques secondes auparavant. Ce dessin ? Celui-là peut-être ? Ceux de ses visions ? Oh non, finalement non, ils ont affaire à des no-maj, il ne voulait pas leur expliquer, et puis, ses dessins de vision, c’est privé, s’il ne les regarde pas, pourquoi les exposerait-il ? Kieran, assis sur le lit, lui répondait par onomatopées, levant à peine les yeux quand il lui montrait un truc, trop occupé à vérifier qu’ils n’avaient rien oublié. Après tout, ils partaient pendant plusieurs jours ; il leur fallait donc de quoi se changer en conséquence, sans compter de quoi s’occuper, comme les livres, leurs devoirs respectifs, de la nourriture pour le trajet - les bonbons ! - et, oui, les bonbons ultra piquants qui arrachent la gueule dont le loup raffolait tout particulièrement.
La cause de toute cette panique ? Les dessins d’Isaak. Finalement, à force d’être poussé à le faire - et à cause de sa promesse sur le chat - Isaak avait enfin envoyé ses dessins à plusieurs galeries, puisque son rêve était quand même de vivre de son art. Après refus sur refus, une galerie de Dublin avait accepté, lui proposant de venir se mettre en avant quelques jours durant une exposition de jeunes talents. Isaak avait accepté, non sans lui avoir demandé de venir avec lui. Pour visiter Dublin après, qu’il avait dit. Kieran avait accepté, bien entendu, suffisamment charitable pour ne pas relever qu’il venait surtout parce qu’il flippait à l’idée d’y aller seul. Et si on le refusait ? Et s’il s’était trompé ? Et si, pire encore, il se dégonflait juste avant d’y aller, et n’y allait pas ? Bref, il ne fallait pas qu’il y aille seul. Isaak, d’ailleurs, venait d’être pris d’une nouvelle idée. Et s’il faisait un portfolio pour montrer un peu plus de son art ? Il a eu trois semaines et il y pense maintenant ? Ce type est un désastre.
« T’as quinze minutes, dit-il sans relever les paroles du loup, le temps que j’aille chercher le deuxième amour de ma vie. »
Ledit deuxième amour de sa vie, autrement dit le chat, fut très vite attrapé vu qu’il dormait dans la malle ouverte de son papa voyant, étalé de tout son long sur le châle en laine fleuri que le loup-garou récupéra également, le rangeant dans le sac de voyage à fond indétectable avant de mettre l’animal dans sa caisse de transport - ou plutôt dans son panier, qui était en fait un sac de transport félin modulable qui leur avait coûté cher, mais rien n’est trop beau pour leur gamin poilu. Le chat s’étala sur son coussin, ronronnant quand Kieran lui installa une couverture pour qu’il se roule dedans s’il avait froid. Ça avait pris moins de deux minutes, aussi occupa-t-il les treize minutes restantes à faire le tour, rangeant le bazar d’un coup de baguette tout en s’assurant qu’ils avaient pris assez d’habits pour la semaine, mais aussi qu’ils avaient leurs billets, les croquettes et jouets du chat, bref, tout ce qu’il faut pour un bon voyage serein.
« Fin des quinze minutes ! Le voyant continuait de s’activer, encore plus sous pression, faisant lâcher un bref éclat de rire au jeune loup placide. Bon attends, je vais t’aider, pousse-toi. D’un coup de baguette, il rassembla tous les carnets en une pile qui alla gentiment se ranger dans leur sac de voyage. Voilà, portfolio fait. On peut y aller maintenant ? »
Riant toujours, il lui attrapa la main pour lui embrasser la joue, amusé de le sentir si nerveux. Et tandis qu’Isaak se saisissait de leur valise, lui-même mit son sac sur le dos avant d’attraper les anses du sac de transport du chat, qui s’était enroulé dans sa couverture pendant leur discussion. Main dans la main, ils se rendirent à la gare en discutant - ou plutôt, Kieran s’occupant de meubler le silence pendant qu’Isaak hochait de temps en temps la tête, trop stressé pour en placer une, mais quand même soulagé qu’il lui occupe l’esprit avec ses explications random sur ses derniers cours, ses dernières lectures, la fille qui avait voulu le draguer sans comprendre qu’il est ultra gay, bref, un peu tout et rien pour qu’il n’explose pas sous la pression. Ils atteignirent assez vite la gare, puis leur train, montant dedans sans cesser de discuter à sens unique, Kieran n’arrêtant de parler qu’une fois dans le train, pour plonger la main dans son sac, récupérer les billets et savoir où ils étaient.
« Ok on est là-bas. Court silence. Je prend le côté fenêtre ! »
Aussitôt, la poigne d’Isaak se referma autour de ses doigts, tandis que son autre main lui frappait le bras en signe de protestation. Isaak et le côté fenêtre, une très longue histoire d’amour. En riant légèrement, le loup-garou se laissa frapper sans protester, entraînant son artiste vers leur place, un carré de quatre qu’il espérait vide, histoire qu’il puisse y poser la valise, le sac, et surtout le chat qui dormait dans son panier. Malheureusement, il y avait quelqu’un. Une personne plongée dans son livre. C’est pas la bibliothécaire ? Si, c’était carrément elle, et, damn, quel choc de la voir en-dehors de son élément naturel. Lâchant la main d’Isaak, il le laissa ranger la valise tandis qu’il se dirigeait vers les places pour poser le chat sur la table. Il dormait toujours, pas perturbé pour un sou par son transport.
« Bonjour madame, dit-il poliment pour ne pas la faire sursauter en s’installant. On dirait qu’on va devoir voyager ensemble. Promis, on ne fera pas trop de bruit. »
Charitable, il laissa Isaak se glisser entre les sièges pour s’installer à côté de la fenêtre, et s’installa à côté de lui, tournant l’ouverture du chat vers eux par réflexe. L’animal ouvrit un œil, et étira ses petites pattes tout en découvrant ses crocs - absolument adorable. Puis il se rendormit aussi sec, se sachant bien protégé par ses deux papas, l’un d’eux étant un loup-garou, menace suffisamment forte pour éloigner le danger.
« Si vous ne savez pas quoi faire à Dublin, je connais une bonne galerie d’art. Avec un sourire taquin, il tendit légèrement le bras pour empêcher Isaak de lui taper dans les côtes pour le faire taire. Il va y avoir une exposition de jeunes talents venus d’un peu partout, même si, bien entendu - il tourna la tête vers le jeune artiste - tes dessins seront les plus beaux, mon chéri. ♡ »
C’était officiel, Isaak le détestait, mais lui, il s’amusait énormément.
made by black arrow
Kieran Rutherford
Messages : 277
Date d'inscription : 29/09/2019
Tormaigh
Sujet: Re: Voyage à Dublin (LIBRE) Dim 1 Déc - 10:28
Le réveil aux aurores - et même avant, au regard de la fainéantise du soleil dans les débuts du mois sombre - piquait. Surtout lorsque le sommeil s'était fait rare, n'arrivant qu'aux petites heures d'une nuit ayant connu mouvement sur mouvement, réflexion sur réflexion et hésitation sur hésitation. Devait-il - non, devaient-ils - vraiment y aller ? Et si c'était pour rien ? Certes, l'occasion de découvrir Dublin - et Dieu seul savait qu'il n'aurait jamais pensé avoir cette opportunité de sa vie, le petit gars coincé dans sa banlieue de Chicago - mais tout de même... Ces quelques heures de train pour rien... Une certaine déception dans ses propres yeux, qui durerait plusieurs jours, qui freinerait une main qui courrait souvent, toujours.
Ce réveil qui sonna et avec lui, cette idée obsédante. Ce qu'il avait envoyé, ces dizaines d'esquisses, toiles, études différentes ne représentaient qu'un échantillon bien pauvre de l'étendu de son travail, de cette passion qui ne s'assouvissait jamais. Encore un peu. Toujours plus. Des carnets qui s’amoncelaient. Des cartons qui crachaient leurs entrailles de papier. Les tris successifs ne changeaient rien : il produisait autant qu'il jetait. Et là, il avait démarché - quelle idée - avec une fraction si minime qu'il n'était pas certain que les responsables de cette bienheureuse et généreuse petite galerie ait compris l'essence même de son art. Snob.
Il n'y avait que lui pour se retrouver, à quinze minutes de leur départ, en train de fouiller des centaines de feuillets, pages et autres endroits embellis par les traits afin de décider lesquels l'accompagneraient pour prouver qu'il était bien plus capable que les commissionnaires ne le pensaient. Mais il ne savait que choisir, trouvant des défauts à l'ensemble. Un trait trop épais sur celui-ci, un problème de proportion sur un autre ou encore juste une vague impression lointaine - et souvent non partagée - que cela n'était juste pas suffisant. Bien pauvre dans la construction, l'harmonie ou il ne savait encore quel autre concept qui lui donnait l'air de savoir de ce dont il parlait.
Mais comme toujours, son sauveur était à ses côtés et d'un coup de baguette - pourquoi Isaak ne pensait jamais à ce bâton magique ? - il régla son problème, tel Marraine la bonne fée. Quelle chance, vraiment. C'était sûr que si presque tout était avec lui, il n'aurait pas à se plaindre, à quelques minutes de l'entrée des curieux, qu'il n'avait vraiment presque rien d'intéressant pour prouver son talent.
Le trajet vers la gare lui semble presque trop court, animé par la voix de son doucereux ami, bien décidé de ne pas laisser le mutisme du jeune homme plombé une matinée qui avait débuté bien trop tôt pour leur propre bien. Isaak écoutait sans comprendre - attends, quoi ? C'était quoi cette histoire de drague quelques minutes plus tôt là ? Il hochait la tête, murmurait de courtes onomatopées et réponses monosyllabiques, la gorge nouée par le stress. Ce soir, ils referont certainement le trajet en sens inverse, la valise tout aussi lourde.
Je prends le côté fenêtre. Et puis quoi encore ? Sans sa précieuse fenêtre, Isaak allait mourir avant d'avoir atteint la sainte capitale du pays vert. La fenêtre, c'était sa porte ouverte pour les rêves et une sensation de détente qu'il ne connaîtrait plus lorsque les buildings gris et oppressants s'aligneraient. Un sourire amusé, une petite tape amicale. Un élan d'amour. Isaak monta la valise dans le porte-bagage avant de se faufiler à sa place, côté fenêtre, sans remarquer la femme élégamment vêtu qui allait avoir le malheur de partager leur place.
Kieran semblait la connaître. Par pitié, que ce ne soit pas la prof d’anthropologie. Le jeune homme ne serait alors pas certain de rester le trajet sans s'endormir profondément, bercé par des comptines de nerd. Coup d'oeil à la dérobée avec un rapide bonjour murmuré pour éviter d'être impoli. Non, ce n'était pas cette prof-là. Il l'avait déjà aperçu mais il ne parvenait plus à remettre le doigt sur l'endroit.
Alors qu'il s’apprêtait à l'interroger discrètement - c'est qui encore ?, son petit-ami reprit la parole pour la questionner sur ses plans de son séjour. Enfin, pour lui proposer une activité si jamais elle ne savait que faire. Isaak se figea dans son mouvement, préférant soudainement remplacé celui-ci par un coup de coude - bien vite arrêté - afin de le stopper avant qu'il ne fasse ce à quoi il pensait. Et Kieran le fit. Kieran lui parla de la galerie.
Regard outré. Regard foudroyant. « Oh, je suis sûre que Madame a bien mieux à faire de son temps libre, tu sais. Elle a très certainement un programme très chargé qui l'attend une fois à Dublin. » Lui qui avait commencé à apprécier l'idée de cette ville lointaine où personne ne le connaissait. S'ils n'aimaient pas, au moins, il n'aurait plus jamais à les revoir, évitant ces lieux comme si une épidémie de peste y déferlait. Mais si on se mettait à inviter des gens qu'il recroiserait potentiellement... Il allait vraiment devoir se rappeler l'endroit avec lequel il était censé l'associer pour ne plus jamais y mettre les pieds.
« Vous connaissez bien Dublin ? Vous pourriez peut-être nous indiquer ce que nous devons absolument y voir ? On est pas vraiment de la région, vous voyez... » Armé de son sourire, il était bien décidé à faire oublier cette histoire d'exposition.
