smile, smile, smile (lyuba)

(1996) Naissance dans une famille moldue peu aisée, milieu rural, dans un trou paumé en Russie. Petite dernière de la couvée, que des frères. Elle prend très tôt l'habitude de raser les murs. Enfance bercée entre les superstitions locales - la figure d'autorité du village étant la vieille sorcière-quasi-cracmole  à la parole considérée comme quasi divine -, les relents d'utopie communiste et la rigueur militaire. On lui a appris que le monde appartient au peuple, que le partage est la base de tout, que les gens qui se croient mieux que les autres, il faut les envoyer en Sibérie et qu'il faut toujours se libérer de l'oppression des forts. Quant aux pouvoirs de Lyuba, cela n'a choqué personne : elle est la septième fille d'une septième fille, forcément qu'elle est sorcière. Alors rien de plus normal que les objets lévitent de temps en temps devant la gamine. Petite, elle semble toujours paumée, de gros soucis de concentration, des maux de têtes à répétitions. Parce que les pensées de ses interlocuteurs lui embrouillent le cerveau. Même pas besoin de se concentrer pour les entendre. Les comprendre, par contre, ça lui a longtemps été impossible. Alors elle prend la manie de ne jamais regarder les gens dans les yeux pour ne pas capter un brouhaha juste bon à lui coller mal à la tête.

(2004) Lyuba sorcière, pas un problème, Lyuba indisciplinée, ça l'est déjà plus. Parce que s'ils ne sont pas vraiment cosaques dans son bled, ils ont tous un grand-père, un oncle, un cousin qui y est encore affilié. Alors les gamins, ils les aiment bien rigoureux, forts, obéissants, de bons apprentis soldats visant l'excellence et la petite gamine qui rechigne à apprendre à se battre parce que ça fait mal, ils n'aiment pas des masses, surtout quand il faut lui courir après pour la traîner aux entraînements et qu'elle s'avère quasi irrattrapable.

(2007) Entrée à Koldovstoretz, prise en grippe dés le début par une bande de petits péteux sang-pur qui trouvent qu'elle est une proie facile. Pas scolaire en plus de tout ça, elle fait un blocage total. Résultats d'une nullité sans nom, à faire pleurer les professeurs qui ne tardent pas à la catégoriser cas désespéré. Aurait mieux fait de rester dans sa campagne moldue en appréciation et Lyuba ne peut qu'approuver. Là bas, elle est heureuse au moins. Elle passe son temps à compter les jours qui la séparent des vacances. Elle leur ment un peu, leur raconte qu'elle réussit tout bien, qu'elle est la plus douée de sa promo et ça leur plaît bien, ça fait oublier qu'elle rentre pas tout à fait dans les rangs.

(2009) Un soir, elle a fait le mur. Elle a toujours été douée pour se tirer Lyuba. Puis elle a erré, perdue, dans le froid. Elle a cru mourir au moins dix fois, surtout quand elle s'est retrouvé nez à nez avec un ours. Un ours qui s'est avéré être humain. Un ours qui s'est révélé être Anatoli Mendel. Et peut-être bien qu'elle lui a fait pitié, la gamine, parce qu'il l'a prise sous son aile. Et comme Lyuba ne veut pas rentrer chez elle, un peu honteuse - la maison ne tolère pas l'échec - elle reste. Il lui fait son éducation, remplaçant les professeurs de Koldovstoretz qui ont été infoutus de lui apprendre plus compliqué qu'un lumos et, Lyuba, dés qu'on la sort du contexte trop scolaire, elle s'avère étrangement plus douée. Mendel a une fille de son âge, elle étudie à Durmstang, elles ne se croisent qu'aux vacances.

(2011) Elle allume la télé et la télécommande lui glisse des mains. Y a son village sur l'écran alors que la Russie entière ignore son existence. Son village en flamme. Guerre de clocher, explosion de gaz, connard de suprématiste sorcier passant par là, mystère. Ils annoncent qu'ils n'ont pour l'heure retrouvé aucun survivant. Elle n'est jamais allée vérifier, rien que l'idée lui tord les boyaux. De loin, elle a guetté les changements de photo de profils facebook, les snaps, le moindre petit like sur une image débile. Rien. Mais c'est parce qu'ils n'ont jamais été branchés technologie, pas vrai ? Le déni.

(2013) Elle a 17 ans, elle se barre de chez Anatoli mais marche droit dans ses traces. Elle s'est fait une bande de potes un peu comme elle. Des jeunes idéalistes plus ou moins paumés qui n'ont qu'un seul mot en tête : révolution. Parce qu'il faut changer le système, faire tomber le gouvernement trop répressif, mélanger les moldus et les sorciers, déboulonner les familles de sang-pur de leur piédestal. Cela fait trop longtemps qu'elles regardent les moins bien nés de haut et ils n'aiment pas ça. Utopistes, peut-être, mais loin d'être pacifistes. Ils partagent leur savoir assez éclectiques,  Pour la thune, ils font dans l'arnaque de moldus friqués : rien de tel qu'un soupçon de magie pour que personne n'y voit que du feu. Pour le reste, ils se mettent sur la gueule avec l'autre bande de jeunes idéalistes mais de l'autre bord. Ceux qui pensent que le monde n'en serait que plus grand sans ces connards de moldus et ces hérésies de sang de bourbe. Ça dure, ça dure et ça tourne mal, forcément.

(2018) Moitié de joint de la veille rallumé dés le réveil, ça se traîne jusqu'au canapé, zigzaguant entre les boîtes à pizza vides. Le coloc est déjà là, elle choppe la deuxième manette, ils jouent à FIFA, volets fermés, fumée envahissant les lieux. Ils ne veulent penser à rien. Leur bande a éclaté voire certains de ses membres ont éclaté. Lyuba, elle se sent vide, elle a l'impression qu'elle n'a sa place nulle part et qu'elle ne l'a jamais eu, qu'elle aurait du mourir le soir où ça a vraiment dérapé. Elle s'anesthésie à la vodka, aux soirées beaucoup trop arrosées et se tient éloignée plus que jamais des fenêtres. Si elle a tant le vertige, c'est peut-être bien parce qu'elle a beaucoup trop envie de sauter.

(2019) Anatoli l'a retrouvée, l'a engueulée comme jamais, peut-être même bien qu'il l'a faite pleurer. Puis il l'a ramenée à la maison et l'a remise sur pied. Avant de lui faire le grand discours qu'il fallait qu'elle arrête les conneries avant que ça ne tourne encore plus mal, que c'est bien beau de vouloir tout révolutionner mais que lui, il a eu beau essayé, ça ne lui a amené que des ennuis. Alors elle lui fera le plaisir de faire des études, d'obtenir un diplôme qui lui permettra au moins d'avoir une issue de secours puis après, il la laissera tranquille. C'est lui qui la pousse à passer les ASPICs russes en candidate libre - elle en a après tout le niveau, il ne s'est pas contenté de lui apprendre le strict minimum - et de s'inscrire à la faculté, loin de la Russie ou de l'Ukraine pour changer d'air. Ça tombe bien, qu'il lui dit, il y en a une qui vient d'ouvrir en Irlande, même que ça lui plairait parce qu'ils mélangent le monde sorcier et moldu alors elle allait lui faire le plaisir d'arrêter de jouer à la neuneu un peu cassos, d'y postuler et d'y réussir. Sinon, il la renie et il a l'air vachement convaincant quand il lui annonce. Menace ultime pour Lyuba pour qui Anatoli est la seule personne au monde dont elle veut l'approbation voire même qu'elle voudrait rendre fier. Ce qu'il a oublié de lui préciser, c'est que sa fille y sera aussi. Il se dit que comme ça, elles pourront veiller l'une sur l'autre, comme deux frangines qui se respectent, sans même qu'il ait besoin de le leur ordonner.