Croix de bois, croix de fer (Sera)

Le hibou familial des Selwyn, un Grand Duc au plumage sombre et aux pupilles presque fluorescentes, planait, stationnait au dessus des tables de la Grande Salle. comme une tâche contre le plafond magique qui présentait ce matin un magnifique ciel d'automne, bleuté qui ferait presque regretter que l'on était en Septembre et non en Juillet. Il cherchait l'un de ses maîtres, celui à qui le courrier était destiné. Sa vue devenait mauvaise avec l'âge : la retraite se faisait désirée. Et puis, il reconnut le chaos roux assis parmi les verts et argents et fonce dessus, comme un bienheureux. Peut-être qu'il aurait quelque chose à grignoter, une fois sa tâche accomplie. Il y aurait sans doute eu droit s'il ne s'était pas étalé, sans aucune grâce, dans l'assiette du petit Maître qui n'appréciait que moyennement la démonstration.

Yeliel Selwyn, âgé de 11 ans, rentré à Poudlard depuis exactement neuf jours, était légèrement surpris par ce pli. Il manquait donc déjà tant à Maman qu'elle n'avait pas su attendre le mois, comme il l'avait demandé ? Il voulait juste s'intégrer facilement, sans passer pour le fils qui avait bien du mal à quitter les jupons maternels. Mais Maman était du genre à respecter ses promesses. Fébrile, il détacha le cachet de cire, déplia le parchemin et lut les quelques lignes griffonnées avec hâte. Et joie. Yeliel, en plus d'être l’aîné, était désormais également grand frère : sa future peste de petite soeur - parce que les petites soeurs ne pouvaient être que cela - était née en avance, trop pressée de pointer le bout de son nez pour le mettre Merlin seul savait où. Seraphina Selwyn, deuxième enfant du couple que plus personne n'attendait, était née aux petites heures du 9 Septembre 1984, pour le plus grand plaisir de tous.

C'était amusant, pour le nourrisson, de découvrir quelques mois plus tard celui dont on lui parlait sans qu'elle ne puisse réellement comprendre. De gazouiller en serrant les longs doigts adolescent qui venaient l'ennuyer dans son berceau. De les serrer de toute sa petite force, dans ses toutes petites mains. De voir les sourires se multiplier sur ce jeune visage, mais ô combien plus vieux que le sien. Ils auraient pu se détester, les deux enfants Selwyn. Tout leur offrait cette possibilité et pourtant, ce fut le coup de foudre instantanée. Ils seraient de ces frères et de ces soeurs que rien - sinon la Mort - ne sépareraient. Quand les balbutiements se transformèrent en paroles, les premiers mots furent dédiés à demander inlassablement où était Yeliel. Et ce dernier accepta - quémanda - de recevoir du courrier toutes les semaines. Avec des nouvelles de la petite, dont il ratait la croissance.

C'était un autre parchemin - avec un autre hibou - qui lui avait annoncé la grande nouvelle qui l'avait empli de fierté. Sera', la petite Sera, n'était pas une de ces vulgaires cracmolles. Ses pouvoirs s'étaient enfin révélés, les verres explosant quand on lui avait dit qu'il fallait encore attendre de trop longs mois avant que la famille ne soit réunie. C'était pas juste alors, elle s'était énervée et sa vraie nature - celle dont personne ne doutait, bien sûr, s'était révélé.

Onze ans bientôt révolus mais c'était comme cela, quand on était née en Septembre. Enfin sur le quai de la voie 9 3/4, le Poudlard Express dans toute sa splendeur devant ses yeux. Père et Mère en grande discussion avec d'autres gens biens comme il fallait, qu'elle avait vu des dizaines de fois chez eux, chez qui elle avait déjà passé des journées à jouer avec leurs enfants, sans se soucier des inquiétudes d'adulte qui grondaient en 1995. Elle n'y comprenait rien, de toute manière. Trop jeune. Yeliel était à ses côtés parce qu'il ne pouvait, pour rien au monde, manquer sa rentrée lui avait-il dit. C'était confiante, qu'elle était montée dans le wagon. C'était confiante, qu'elle était arrivée à Poudlard. C'était légèrement inquiète qu'elle s'avança lorsque son nom fut clamé - et si elle finissait à Gryffondor ? Et soulagée, qu'elle fut répartie à Serdaigle, la maison des Savants.

Et même si elle aimait sa nouvelle maison, sa deuxième famille, c'était avec empressement qu'elle rentrait au Manoir. Elle était si fière de parler de ses progrès, de ses avancées avec son frère qui lui conseillant sans cesse de nouvelles lectures, pour s'améliorer. Elle aimait passer du temps avec ses parents, discuter des dernières mondanités et des ragots des couloirs d'un Poudlard bien propret. Parfois, des collègues de travail - si elle avait bien compris, venaient. Elle n'était pas permise à leurs réunions alors, elle n'était jamais certaine de la teneur de leur boulot. Généralement, elle les croisait après, lorsqu'ils discutaient de choses plus légères autour d'un bon whisky aux notes boisés - terriblement mauvais, si on lui demandait son avis de chapardeuse. Elle avait même pu croisé leur chef, celui que Yeliel appelait le Seigneur avec respect. Un simple regard qui l'avait fait frissonnée, des paroles anodines murmurés du bout des lèvres et des questions plein la tête.

Et puis, on avait quatorze ans, on terminait sa troisième - vraiment, être née en Septembre, quelle plaie - et le monde s'écroulait sans qu'on ne comprenne pourquoi. Une bataille terrible se déroula sur les terres du noble château qui leur servait d'école. Des pas précipités, des regards effrayés, on avait conduit les plus jeunes dans les donjons pour mieux les protéger. Elle n'avait assisté à rien, n'était sorti que pour savoir que le Seigneur avait perdu. Était mort. Dans les jours qui suivirent, des vagues d'arrestations eurent lieu et parmi celles-ci, son frère, son père et d'autres membres de la famille. Pour une famille prétendument neutre, beaucoup trop de personnes se trouvèrent dans les rangs du mal. On lui arrachait les siens, c'était tout ce qu'elle retenait, encore trop immature pour comprendre.

Pour la fin de sa scolarité, elle fut seule avec sa mère et les occasionnels Selwyn encore en liberté qui lui apprenaient petit à petit, dans le plus grand des secrets suite au déshonneur subi, le subtil art familial de la nécromancie. Et dans sa curiosité sans limite, elle absorbait cela comme une éponge. Il n'y avait plus qu'elle et les livres, le savoir, ne supportant plus les murmures sur son passage. Elle avait mûri, elle avait appris. Elle aimerait condamner véhément les actions de son frère, maintenant qu'elle comprenait ce qu'on leur reprochait, mais elle n'en était pas capable. Pas avec Yeliel. Elle avait du mal à croire que l'heureux grand frère attentionné était un monstre. Alors, elle fit le choix de la solitude.

Sans surprise, elle obtint ses ACPICs sans difficulté, haut la main. Une réputation légèrement ternie par les évènements encore frais dans tous les esprits l’empêchèrent de briguer directement une place de choix au sein du Ministère. Dans le temps, elle aurait pu, lui soufflait Mère. Mais plus maintenant. Maintenant, il fallait se battre, comme la petite vermine. Alors, Seraphina en profita pour parcourir le monde, aidée par la fortune maternelle, encore relativement intacte. Elle sillonna les vastes étendues terrestres, en quête de savoir, en quête de magie différente, de savoirs ancestraux et méconnus, de fables sur les origines de la Magie, sur la Magie elle-même.

Mais la nostalgie du pays lui tiraillait les entrailles. Elle voulait revoir les landes désolées de son Ecosse natale, se baigner dans les lochs glacés, gravir les monts. Alors, elle rentra. La société avait changé. Les esprits semblaient s'être radoucies. Et sa nouvelle expertise lui permirent d'obtenir une place parmi les langues-de-plomb, après des examens approfondis, rigoureux, presque trop faciles à ses yeux. Elle s'y tint sagement, sans que l'on puisse lui reprocher quoi que ce soit, si ce n'est trop de sérieux.

Même lorsque la Source éclata, elle resta à sa place, la curiosité la dévorant. Mais elle savait que l'on n'hésiterait pas à ressortir les choux gras sur sa famille lorsque le nom des Missi Dominici se fit connaître. Rester dans son coin, à travailler comme elle travaillait toujours, sans montrer le moindre intérêt trop prononcé pour le phénomène, sous peine d'être vue comme une assoiffée de pouvoir comme l'étaient tous ces horribles sang-purs, n'est ce pas ? 

Mais les échecs, les morts, les blessés se succédèrent et on n'eut d'autre choix que d'envoyer Seraphina à Oranmore, malgré les réticences émises par certains. Elle était compétente. Elle n'avait jamais émis d'idées nauséabondes. On ne pouvait reprocher à quelqu'un sa famille. Et puis, les équipes sur place étaient décevantes alors, il fallait bien envoyer du monde pour les épauler, pour travailler en étroite collaboration avec la CRASSE et l'Université. Depuis, elle s'y plaisait bien, plongée dans les mystères de cette énergie incontrôlable et la petite ville plaisante - même si elle ne valait pas l'Ecosse chérie.